Saint Denys l'Aréopagite sur le beau et la Beauté

     Nos théologiens sacrés, en célébrant l'infiniment bon, disent encore qu'il est beau et la beauté même, qu'il est la dilection et le bien-aimé; et ils lui donnent tous les autres noms qui peuvent convenir à la beauté pleine de charmes et mère des choses gracieuses. Or, le beau et la beauté se confondent dans cette cause qui résume tout en sa puissante unité, et se distinguent au contraire, chez le reste des êtres, en quelque chose qui reçoit, et en quelque chose qui est reçu. Voilà pourquoi dans le fini nous nommons beau ce qui participe à la beauté, et nous nommons beauté ce vestige imprimé sur la créature par le principe qui fait toutes choses belles. Mais l'infini est appelé beauté, parce que tous les êtres, chacun à sa manière, empruntent de lui leur beauté; parce qu'il crée en eux l'harmonie des proportions et les charmes éblouissants, leur versant, comme un flot de lumière, les radieuses émanations de sa beauté originale et féconde ; parce qu'il appelle tout à lui (ce que les Grecs marquent bien en dérivant καλὸς, beau, de καλέω, j'appelle), et qu'en son sein il rassemble tout en tout. Et il est à la fois appelé beau, parce qu'il a une beauté absolue, suréminente et radicalement immuable, qui ne peut commencer ni finir, qui ne peut augmenter ni décroître; une beauté où nulle laideur ne se mêle, que nulle altération n'atteint, parfaite sous tous les aspects, pour tous les pays, aux yeux de tous les hommes; parce que de lui-même et en son essence, il a une beauté qui ne résulte pas de la variété ; parce qu'il a excellemment et avec antériorité le fonds inépuisable d'où émane tout ce qui est beau. Effectivement, la beauté et les choses belles préexistent, comme dans leur cause, en la simplicité et en l'unité de cette nature, si éminemment riche. C'est d'elle que tous les êtres ont reçu la beauté dont ils sont susceptibles; c'est par elle que tous se coordonnent, sympathisent et s'allient; c'est en elle que tous ne font qu'un. Elle est leur principe, car elle les produit, les meut et les conserve par amour pour leur beauté relative. Elle est leur fin et ils la poursuivent comme leur terme ultérieur; car c'est pour elle que tout a été fait. Elle est leur exemplaire, et ils ont été conçus sur ce type sublime. Aussi le bon et le beau sont identiques, toutes choses aspirant avec égale force vers l'un et l'autre, et n'y ayant rien en réalité qui ne participe de l'un et de l'autre. Même, j'oserai bien dire qu'on trouve du beau et du bon jusque dans le non-être ; ainsi quand la théologie désigne excellemment Dieu par une sublime et universelle négation, cette négation est chose bonne et belle. Le bon et le beau, essentielle unité, est donc la cause générale de toutes les choses belles et bonnes. De là vient la nature et la subsistance des êtres; de là leur unité et distinction, leur identité et diversité, leur similitude et dissemblance; de là les contraires s'allient, les éléments se mêlent sans se confondre ; de là les choses plus élevées protègent celles qui le sont moins, les égales s'harmonisent, les inférieures se subordonnent aux supérieures, et ainsi toutes se maintiennent par une immuable persistance en leur condition originelle. De là encore tous les êtres, en raison de leur affinité réciproque, s'influencent, s'adaptent l'un à l'autre, et entrent en parfait accord; de là l'harmonie de l'ensemble, et la combinaison des parties dans le tout, et l'inviolable maintien de l'ordre et la perpétuelle succession des choses qui naissent et périssent ; de là enfin le repos et le mouvement des purs esprits, des âmes et des corps : car celui-là est repos et mouvement pour tous, qui au-dessus du repos et du mouvement, donne à chaque chose son immuable raison d'être, et lui imprime la direction convenable.

Des Noms Divin, chapitre IV, lectio VII.